RITON LIEBMAN> LA VEDETTE DU QUARTIER

« L’AUTORITE N’AVAIT PAS DE PRISE SUR MOI »

Rencontre avec Riton, le gaffeur, le blagueur et le roi de l’autodérision qui sait être sérieux le temps d’une interview. Thibaut Demeyer.

Henri dit Riton Liebman a fait fantasmer toute une génération à travers son rôle de Christian Beloeil dans « Préparez vos mouchoirs » de Bertrand Blier avec Carole Laure, Gérard Depardieu et Patrick Dewaere.

Depuis, le « ket » de Bruxelles a grandi. A soixante ans, sans détour ni langue de bois, il nous raconte à travers son livre « La vedette du quartier » ses souvenirs d’adolescent pas toujours simple et son entrée dans le monde des adultes pas toujours facile. D’ores et déjà, une suite est prévue. Nous l’attendons avec impatience car « La vedette du quartier » est un roman autobiographique qui se lit avec bonheur et passion.

En quoi ce livre est important pour vous ?

J’aime écrire, c’est ma vie ou du moins une partie de ma vie. J’écris sur ce qui me touche. J’avais l’impression que cela pouvait faire un chouette truc donc je ne me suis pas trop posé de questions analytiques. J’avais envie de le faire, il fallait que je passe mes journées à faire des trucs intéressants. J’aurais pu faire cela ou alors aller travailler dans un café ou dans un magasin de chaussures et en fin de compte, j’ai choisi de faire cela parce qu’il faut bien que je fasse quelque chose de mes journées.

Après « Préparez-vous mouchoir » comment imaginiez-vous votre avenir ?

Je me suis lancé pulsionnellement dans l’inconnu sans trop imaginer. Je ne savais pas trop quoi mais j’avais envie de le faire comme quand on part en voyage, on ne sait pas trop où on va aller, mais on a envie de faire le voyage.

Dans le livre, vous parlez souvent de votre timidité avec les filles. Et avec Carole Laure, comment cela s’est-il passé parce que les scènes ne devaient pas être simples surtout pour un adolescent de 13 ans.

Bah c’était un film, j’avais toute une équipe à côté de moi, il y avait mes parents, mes copains, cela n’entrait même pas en ligne de compte. J’ai fait fantasmer toute une génération, mais moi, dans la réalité, j’étais à des kilomètres de cela, c’était un rôle. C’était « allez vas-y », « prépare-toi », « mets-toi là, action, on y va ». Il n’y avait rien de plus que cela.

 N’avez-vous pas l’impression que ce film vous a fait grandir trop tôt, notamment en allant vivre seul à Paris ?

Oui. Vous savez, la vie vous envoie des trucs, c’est comme ça. Chacun son histoire, on ne choisit pas tout. Et si cela était à refaire, je referais exactement la même chose.

Aujourd’hui, est-ce qu’on vous parle encore de Christian Beloeil ? Parce qu’au début, on vous a souvent cassé les pieds avec toutes ces questions sur Gérard Depardieu et Patrick Dewaere.

C’est vrai mais c’était quand même vivable, vous savez quand on écrit, il y faut mettre des « outch », il faut toujours noircir le trait, toujours raconter l’histoire du mec qui se casse la gueule sinon c’est moins marrant. Si le gars ne se casse pas la gueule, ce n’est pas très rigolo donc quand on écrit, il faut forcer la dramaturgie et puis c’est vrai qu’on m’a un peu ennuyé avec ça mais bon j’ai survécu quand même.

Ce qui est fou dans votre histoire, c’est que votre maman planque l’annonce dans une poubelle. Elle avait un pressentiment ?

Elle avait effectivement un pressentiment disant « houlà, là, il ne faut absolument pas qu’il tombe dessus ». Il y a une chance sur mille pour qu’il voit l’annonce, une sur dix mille pour qu’il y aille, une sur un million pour qu’il soit choisi mais ne la tentons pas. Elle avait foutu le journal dans la poubelle. Et c’est plus tard, un prof à l’école qui l’a donné à ma petite sœur en disant « donne cela à ton frère. S’il y a quelqu’un qui doit se présenter, cela ne peut-être que lui. » J’y suis donc allé avec des copains pour déconner et c’est ainsi que mon monde a changé.

De quoi rêviez-vous avant de faire ce film ?

Je ne rêvais de rien. Ah si ! Je voulais être une rock star. Je rêvais d’avoir un groupe de rock et de jouer sur scène avec mes copains alors que je n’apprenais pas du tout la guitare. Quand le prof de guitare venait à la maison, je m’emmerdais et j’arrêtais pour aller jouer au foot. Je rêvais que de rock. C’était l’époque un peu post soixante-huitard. On était tous plus ou moins hippie à l’époque et donc, je ne rêvais pas spécialement de cinéma.    

Ce livre est aussi un bel hommage à votre papa

Ben oui, j’aimais bien mon père. Je m’entendais bien avec lui. Il m’a peut-être laissé un peu trop libre, il était fort absorbé dans son monde politique et puis mes parents n’étaient pas suffisamment armés que pour gérer un fou comme moi. Si on m’interdisait un truc, je passais par la fenêtre. L’autorité n’avait pas de prise sur moi. Je me permettais tout, je faisais tout, c’était très marrant quand j’étais petit. Après, cela m’a joué des tours parce que je n’avais pas de limite.

Riton Liebman – La vedette du quartier

Si je devais vous décrire, je dirais « gaffeur », « blagueur » aimant l’autodérision. Suis-je dans le bon ou pas ?

Oui, vous êtes dans le bon parce que la moindre des choses est que lorsqu’on écrit sur soi, c’est être dans l’autodérision. La première personne que je traite mal, c’est moi. Mais tout cela, c’est aussi pour rigoler. Je suis quelqu’un qui met toujours l’humour en premier, surtout en cette période difficile. Mais bon, la seule personne à qui je pourrais en vouloir, c’est à moi-même. Mais disons que l’humour a toujours été un truc important pour moi.

Et puis gaffeur…

Oui, gaffeur bien sûr ah oui, très gaffeur voire même plus que gaffeur : rebelle, arrogant, je me la pétais, je savais mieux que tout le monde, j’envoyais chier tout le monde. Mais bon, c’est une histoire. Je grossis le trait pour faire un personnage.   

Cela dit, votre livre est doté d’une certaine mélancolie aussi

Oui, la vie est mélancolique et puis, on n’écrit pas sans mélancolie. Vous savez, je lis beaucoup de romans américains et il y en a plein qui sont supers bien car les Américains ont une façon assez moderne d’écrire et bien tous les romans sont dramatiques. On n’écrit pas un roman sans être dramatique. Et encore, moi je suis gentil. Déjà, j’ai eu une enfance sympa, je ne regrette rien. C’est vrai que je suis un peu mélancolique parce que c’est mon goût et puis quand tu lis un roman, ils sont tous remplis de mélancolie et de dureté. Tu ne fais pas d’humour sans être dur aussi.

En tout cas, lorsque l’on regarde votre filmographie, que ce soit pour le cinéma ou la télévision, le théâtre, les one man show, vous êtes quand même loin d’avoir raté votre vie professionnelle. Car en plus, vous avez réalisé un long métrage, ce qui n’est pas donné à tout le monde non plus.

C’est vrai. Quand mes copains du quartier viennent voir un spectacle ou un film que j’ai fait, ils disent « ah mais tu travailles en fait ».

Réaliser un second long métrage, cela vous passe par la tête ou plus envie de renouveler l’expérience de « Je suis supporter du standard » ?

Cela fait plusieurs années que je développe un projet mais vous savez comme moi que c’est difficile. Le cinéma, c’est toujours un miracle quand un film va au bout. Un copain m’a dit « estime toi heureux parce que chaque projet qui va au bout est un miracle. » Si c’était facile, tout le monde ferait des films et justement la difficulté du cinéma, c’est que monter un film, c’est très long, le système du cinéma aujourd’hui est assez compliqué, assez verrouillé, assez sclérosé. Ce n’est pas évident de monter un film. C’est plus facile de monter un blockbuster à cent millions d’euros que de monter un film d’auteur pas cher.

Vous le dites dans votre livre que ce n’est pas marrant de faire du cinéma.

Oui, ce n’est pas marrant de faire du cinéma, mais je fais aussi autre chose, j’écris. Si tu ne fais que cela, que tu attends près de ton téléphone, ce n’est pas marrant.  Si tu ne fais que passer des essais et que cela ne marche qu’une fois sur dix, ce n’est pas marrant. Je me suis donc construit une vie où je peux faire cela et aussi développer mes propres projets comme écrire un bouquin, en faire un deuxième, faire un film, faire un spectacle. Je me bats pour développer mes propres idées. Je ne suis pas qu’un acteur au service des autres, pas assez malheureusement et je le regrette. D’ailleurs, je suis sûr que si je travaillais comme acteur tout le temps, je n’écrirais pas. C’est cette frustration de ne pas assez travailler comme acteur qui m’a permis de me mettre dans un café avec mon ordinateur ou mon carnet et de travailler.   

Aujourd’hui, êtes-vous un homme heureux

Moi, je suis heureux quand je perds mon portefeuille et que je le retrouve. Alors là, je me dis que la vie est belle ! Ou alors quand je perds mes clés et que je les retrouve ou encore, quand je gare mon vélo, que je ne sais plus où il est, où je crois qu’on me l’a piqué et que soudainement je le vois. Là, je suis heureux.